martes, 30 de agosto de 2011

LES DIEUX VEILLENT TOUJOURS DANS LA SIERRA



L'irrégularité du terrain imposait une marche lente. Les lieux sacrés occupaient un haut-plateau encore éloigné, dont seul le guide, suivant jadis les pas d'un aïeul en route pour de mystérieuses oraisons, avait souvenir. Sous les voûtes d'une végétation obscure, s'ouvraient des chemins dégagés, des clairières de plus en plus vastes. La roche reluisait entre le sombre verdâtre de la forêt, qui se découpait sur l'azur à la crête des collines. La dernière eau de pluie, dans son désir impétueux de se jeter dans la vallée, avait creusé des rigoles et aéré des racines auxquelles s'accrochaient des mains avides trésors.

Le surplomb d'une colline plus élevée que les autres dévoila soudain la nudité du plateau. Les lointains reflets du granit se doraient du scintillement d'une mine ; un tremblement de convoitise secoua les esprits ; on emprunta La Voie Royale ; celle-ci déboucha sur une plate-forme parfaite, couverte d'une herbe rase et brutalement tronquée par des parois verticales estompées dans l'ombrage de la jungle : ces lieux étaient préparés depuis des siècles à subir toutes sortes de profanations posthumes.

Le regard d'Angela, esclave échappée du galion qui avait posé l'ancre la veille, survolait le point de rencontre de deux vallées, confluents de rios, minuscules zébrures suintant de couleurs humides. Elle discernait des tronçons de sentiers, un jaune sale dans la broussaille qui se confondait avec la clarté douteuse des ravines. Roland, son compagnon, occupa un autre point stratégique : ils contrôlaient ainsi le goulot qui met fin à la Voie Royale.


Le chemin plongeait dans l'abîme. Derrière eux, dans les vapeurs du lointain, ils devinaient la naissance des sentiers. Une cascade, de son bruit, les assourdissaient. Mais, alertes, ils pensaient que d'autres retourneurs de tombes pouvaient apparaître, animés des mêmes propos.

Quand la virginité séculaire de la terre accusa le premier choc, un gémissement souterrain se propagea de faille en faille, un cri hallucinant trouva écho de combe en combe et l'odeur fétide de ceux qui ne demandaient pas à renaître accompagna le sourd grondement des nuages en déroute. "Les dieux veillent toujours dans la sierra", confia Angela à Roland.



La pierre qu'il fixait à cet instant se confondit avec le dolmen qui orne le champ de son oncle : un jour, enfant, à la recherche de trésors, on l'avait surpris à retourner la terre autour du monument millénaire.

- "Ça va pas, non ? Tu vas réveiller les morts !", lui avait-on hurlé dans les oreilles. Les vieillards, apeurés, l'ignorèrent alors qu'on lui administrait une tournée d'enfer qui le plaqua sous le manteau brûlant de la cheminée.

La frondaison se tissa en filigrane, et Roland se souvint des histoires de guerre que les vieux racontaient : "l'époque du grand Ouest", lançaient-ils avec éloquence de gestes.

Halluciné par ces souvenirs, malgré l'épaisseur du vert obscur, Roland aperçut du "bleu" dans les fourrés. Assuré de l'imminence d'un assaut final sanglant, défendant la butte, où déjà des Républicains, ligotés aux ailes des moulins, se fracassaient un plus le crâne à chaque tour d'essieu sous une brise qui ne flanchait pas, il palpa son canif et pria Angela, hébétée, de ne pas rester à découvert.

Un choc sourd, bruit caractéristique de céramique brisée, résonna plaintivement dans les veines de la terre. Aussitôt, une douzaine de bras s'activèrent et déblayèrent rapidement une tombe. Le trou béant fut élargi. Une flamme bleue s'éleva. Apparut la surface bombée d'une potiche, prometteuse de richesses.

La végétation vibra sous des rugissements de douleur. Les jaguars, modelés, peints, ciselés, naquirent de leur matière et, instinct sauvegardé, s'engouffrèrent dans la profondeur des branchages. Il ne restait sur le sol que des débris de céramique, des anses de récipients et un squelette en pièces détachées parmi des copeaux d'or.

Aux alentours, la faune hurlait de la renaissance prodiguée. La forêt s'était repeuplée. Un éclair ouvrit dans le plateau une brèche qui absorba les restes de la sépulture.

Les bijoux brillaient dans la cavité : le pectoral indiquait qu'il s'agissait d' un membre du clan de la chauve-souris. Les ailes et le museau saillant évoquaient ces nuits de sagesse, quand le chaman convie à des réunions nocturnes et que le petit jour le surprend dans un conseil qui ne finit pas.

Les nervures des ailes s'enroulaient, se divisaient, dessinaient sur la surface du métal martelé, ciselé, des chemins en relief aux croisées compliquées. Le jade et la cornaline des collines miroitaient d'un vert orangé sur l'or aux reflets rougeoyants. Malgré le soir tombant, les minéraux harmonisaient des teintes qui ne s'étaient jamais ternies. Le filigrane d'un pendentif, de son jaune plus pâle, ajourait le pectoral, qui éclaira soudain le crépuscule, freinant la hâte d'une nuit condamnée à la patience.

Le museau frétilla, le jade des yeux s'alluma, et le chauve-souris, massive, maladroite prit son envol dans un craquement de cartilages et un froissement de tissus endoloris par la métamorphose ; son ventre laboura le plateau et elle plongea dans les contre-bas où elle se perdit.

La végétation vibra sous des rugissements de douleur. Les jaguars, modelés, peints, ciselés, naquirent de leur matière et, instinct sauvegardé, s'engouffrèrent dans la profondeur des branchages. Il ne restait sur le sol que des débris de céramique, des anses de récipients et un squelette en pièces détachées parmi des copeaux d'or.

Aux alentours, la faune hurlait de la renaissance prodiguée. La forêt s'était repeuplée. Un éclair ouvrit dans le plateau une brèche qui absorba les restes de la sépulture.

Les prisonniers furent enfermés dans la hutte centrale. A la nuit tombante, deux gardes vinrent les chercher et les présentèrent devant le Conseil présidé par un chef militaire et un autre religieux. Celui-ci commença à parler sous les signes approbateurs des gens réunis là. La sentence tomba : les condamnés furent emmenés au petit matin dans des marais insalubres pour être crucifiés sur des troncs d'arbre ; ils allaient être attachés, décomposés par l'humidité, déchiquetés par les vautours, séchés aussi par le feu de l'astre qui, incendiant la vase des marais, se réfléchissait sur ses cendres en un bouillonnement de vapeurs asphixiantes. Des grenouilles agonisantes assistaient à la scène.


Angela et Roland avaient été séparés et isolés du groupe. Ils furent enfermés dans une hutte et étaient bien surveillés. L' unique ouverture donnait sur une cour intérieure constamment fréquentée par les voisins des autres huttes. Les jours passèrent et, à l'approche de la pleine lune, le regard des habitants prit une expression grave.


Résumé de la situation : nos héros ont été faits prisonniers. Ils vont être jugés et condamnés à se rendre vers les lagunes sacrées pour faire pénitence. Défilent les autres inculpés...

Un homme du clan du jaguar doit se marier avec une femme du clan du cerf, le marsupial doit s'unir au serpent, le hibou au tatou, le puma au sanglier, ce qui complique souvent les amours ! L'homme, donc, avait été surpris, dans une grotte connue pour ce genre de rencontres, avec une femme d'un clan qui ne lui correspondait pas.
Le chaman, complice des sourires amusés, lutta sur lui-même pour un sérieux qu'il faillit perdre. Compatissant mais solennel, il sentencia l'homme à la peine du tissage. La hutte prévue à cet effet, que les Blancs appelleraient plus tard la Cabane du Diable, était isolée à la sortie du village, au fond d'une impasse obscure et mal pavée. Bien que ce travail ne lui plût guère, il se promit de faire peau et habits neufs pour toute sa famille - avec l'idée cependant que la fille du tapir profiterait d'une nuit noire pour se glisser par une entrée discrète et déjà calculée -. S'ils étaient à nouveau pris sur le fait, cela ne lui coûterait que le travail d'une tunique supplémentaire pour le garde.

Deuxième inculpé. Celui-là avait osé participer à une récolte de feuilles de coca, labeur strictement réservé aux femmes, afin de remplir un peu plus son sac : il fut privé de sa ration quotidienne jusqu'à la prochaine lune. La sentence tombée, ses traits se chargèrent de rides anxieuses.

Condamnés aux travaux forcés, tous les autres allaient prendre le chemin de Julepia pour la construction de la nouvelle ville. Le chaman leur fit signe de sortir.

Roland pensait au druide de son village qui n'aurait pas manqué de l'envoyer jouer à l'ermite dans la forêt de Brocéliande sur les traces de Merlin ou à la quête de la fontaine de jouvence. Le chaman fit quelques pas jusqu'à l'ouverture de la hutte et, sous la lumière nocturne, pointa le doigt vers les cimes neigeuses. Les manches de sa tunique se déroulèrent, les muscles étirés de ses bras indiquaient la voie de la purification.

- "Vous devez immédiatement partir pour les lacs; des bains quotidiens vous laveront de souillures qui peuvent à tout moment réveiller la colère des ancêtres. Vous ne reviendrez qu'à la prochaine pleine lune, après avoir assuré la sécurité de mes gens."


Résumé de la situation : Angela et Roland, pour avoir dévasté des sépultures, ont été condamnés à aller se purifier dans les glaciers des sommets. En compagnie des autres pénitents, ils passent par Julepia, et assistent, émerveillés, à l’édification de la future capitale. Où tous se rendent compte que leur village n’avait jamais été le centre du monde ; pire, ils s’apercevraient bientôt qu’on en ignorait même l’existence.

Julepia se coulait dans le creux d’une faille dominée par le fil découpé d’une colline. De cette incision aplanie à même le roc, s’évasaient de larges escaliers, échelonnant les maisons dans l’altitude de la végétation : feuilles de palmiers sèches, mélange de terre et de bambou, ocre clair dans le noir verdâtre. Certaines terrasses, dénudées, dissimulaient d’intimes recoins, couloirs ou cours d’entrée, toits de pierre, abris plus ou moins sûrs lors des colères du ciel, quand les lumières le déchirent et qu’il se délave sous des pluies qui engloutissent le paysage.

Des demeures imposantes déroulaient leurs façades sur la longueur arasée de la place. L’impact visuel avait troublé le cerveau de ces villageois en arrêt devant les couleurs, les bruits, les odeurs aromatisées d’un jour de marché. Des sons gutturaux en langues étrangères convergeaient vers la maison du chef, se mêlant aux âpres négociations, aux rumeurs confuses d’une foule multicolore.

Des Caonaos étaient arrivés en masse, décidés à s’installer dans la région. Délogés de la côte par des ennemis inconnus à la peau blanche et qui montaient de sombres animaux, ils se heurtèrent à la résistance du chaman ; celui-ci persuada la plupart de ces émigrants à regagner leurs terres et ne pas mettre fin à leurs séculaires échanges commerciaux : Julepia aurait toujours besoin de sel. Le chaman ne pensa alors pas qu’il allait ainsi ouvrir la voie à ces barbus bizarres dont il ignorait les sinistres propos. Il y avait aussi des Arawaks et des Zunis, ceux-ci dans tous leurs états.

Les Caonaos durent se frayer une issue honorable dans le dédale des couvertures posées à même le sol en guise d’étalage pour les produits en vente ; les pagnes serrés de ces hommes de la côte attiraient les regards coquins et faussement pudiques des femmes. Les marchandises, les regroupements par corps de métiers, les échoppes improvisées – lieux de rendez-vous des traducteurs – bloquaient toutes les ruelles du secteur attenant à la grand’ place.

La renommée de Julepia avait dépassé les limites des terres conçues ; une dépendance commerciale unissait divers peuples non instruits de la magnitude de la chaîne. La découverte de leurs différences avait ébranlé les religions traditionnelles et mis en doute l’existence de dieux qui prêtaient maintenant à sourire, s’ils ne soulevaient pas l’hilarité générale. La tolérance ne venait pas sans offenses, mais il était important de conserver de cordiales relations avec les voisins afin qu’un jour Julepia pût devenir le centre cosmopolite des affaires.



Résumé des épisodes précédents:

Angela et Roland ont été condamnés à se purifier dans les glaciers pour avoir profané des tombes. Ils sont passés par Julepia, la capitale, et ont assisté à sa construction. Les Caonaos, un peuple parmi d’autres comme les Zunis dans tous leurs états, veulent repartir chez eux mais le chaman les convainc de rester.

...

Satisfait de la promesse qu’il venait de faire aux Caonaos, à savoir doubler la quantité d’or en échange de la poursuite du troc de sel -, le chaman ordonna de réunir les nouveaux ouvriers aux quelques Caonaos restants.

On constitua autant de groupes de travail que de chantiers en cours. Chaque quartier avait ses propres projets et les caciques se disputaient les hommes les plus musclés pour le transport des blocs de pierres : le terrain en pente, ingénieurs et architectes devaient sans cesse remuer la terre pour créer des surfaces planes.

Les moins résistants furent affectés à la taille des gouttières, fines dalles inclinées sur toute la partie supérieure des murs ; celles-ci recueillaient les eaux des pluies qui couraient ainsi vers l’allée centrale suivant un système complexe de canaux d’irrigation.

Tous allaient devoir porter de lourdes pierres, les tailler, les assembler sous l’inspection critique d’un cacique qui voulait faire de son quartier le plus remarquable de la ville, afin de s’attirer le regard vienveillant des autorités centrales.

Le présence de Roland, confondu dans la masse de ces apprentis tailleurs, inquiétait les Caonaos qui voyaient en lui un espion à la solde de ces hommes récemment débarqués sur leurs côtes. Angela craignit une fausse dénonciation qui eût engendré le pire. Elle se démena alors à retrouver, dans la mêlée des équipes au travail, le guide, qui obtint aussitôt une audience auprès du chaman, sûr de sa cause et de la reconnaissance de son chef spirituel.

Angela et Roland furent alors séparés du groupe. Les gardes chargés de cette besogne attendaient stupidement l’escorte qu’on leur avait promis ; celle-ci se perdit dans les allées et venues des ordres contradictoires ; ce futb u gros désordre : personne ne savait plus que faire et chacun se mit alors à regarder les fourmis passer sous ses pieds jusqu’à ce que le ciel leur fasse signe.

Nos héros furent ensuite introduits dans la demeure du chef. Roland supposa, dans les trophées qui ornaient la porte d’entrée, le passage de quelque tribu nordique, tandis qu’Angela révisait ses arguments de défense, mais ce chaman-là n’était pas d’humeur à discuter et leur demanda la raison de leur présence à Julepia.


Roland parla :

« Que le chaman veuille bien croire que notre présence n’est que fortuite. Oui, des hommes venus de la fin des océans envahissent nos terres. Oui, je fus enrôlé comme monnaie de troc, à force de roubleries et de chantage. Moi, venant du pays celte, j’ai pu fuir ceux de ma race lors d’une escale dans une île ; ainsi, j’ai pu atteindre les grandes plaines du nord. Ce périple m’a conduit chez le peuple Aztèque. Là, des voyageurs me parlèrent de Julepia. En chemin, j’ai rencontré Angela : Un village d’en-bas nous a confondu avec les profanateurs de tombes et nous a fait prisonniers. »

Angela ajouta :

« La grâce d’un chaman nous a offert le privilège de la purification ; nous sommes impatients de repartir, afin que la colère des dieux, qui nous le ferait payer très cher, ne s’abatte pas sur nous. »

Le chaman se rengorgea, à tel point qu’il faillit avaler une amulette qu’il mâchonnait incidemment ; enfin, il allait envoyer au casse-pipe des étrangers qui n’en demandaient pas tant ! Il insista même pour organiser une escorte, mais s’y refusa ensuite, comprenant que le rachat des condamnés n’en serait que plus dur. Ainsi, ils sacrifièrent une partie de la nuit en de sages propos.

La fraîcheur de l’aurore les surprit ; avant que les premiers rayons du soleil ne prennent en enfilade la rue principale, ils avaient déjà foulé un escalier de dalles, accouplement naturel de l’ardoise et du granit, défi à la mesure humaine ; cet escalier se dressait pour se perdre sur le fil d’une haute montagne, unique voie vers les sommets, la neige, la glace, les lacs, lieux de purification obligé pour les initiés.

Ils devinèrent bientôt la clairière de la place centrale et, à l’horizon, vers l’est, les sommets enneigés encore illuminés d’un ciel diapha

Résumé : Angela, qui s’était échappée de pirates a rencontré Roland. Ils ont été enrôlés dans une bande de pilleurs de tombes. Le village a ressucité et, désormais plongés dans le passé, ils sont condamnés par un chaman à se laver de leur méfait en prenant un bain dans les eaux sacrées d’une lagune. Sur leur chemin, ils sont passés par Julepia, la capitale, dont ils ont assisté à la construction. Ils sont en route vers les glaciers…

Ils marchèrent trois jours. Les chemins serpentaient sur les flancs des vallées encaissées, qui précipitaient nos pèlerins dans des descentes vertigineuses. Le souffle court, ils regagnaient péniblement, durant des heures, l’altitude perdue. Les sommets, invisibles depuis Julepia, apparurent, proches, à portée de quelques efforts supplémentaires ; la majestuosité de leurs pans glacés évoqua l’assemblage instable d’un château de cartes. Ils voulurent toucher le spectacle, mais le paysage recula de plusieurs kilomètres. Ils virent dans ce mirage une invitation pressante des dieux.

La matinée du troisième jour rappela à Roland les landes vallonnées de son arrière-pays ; l’air se fit rare, la respiration devint difficile, le soleil de midi plus féroce ; le sol se derobait sous les effets du mal d’altitude ; la végétation changea pour faire place à ces plantes débonnaires, dont le sommet évoque la tonsure des moines ; elles peuplent le plateau, meublant d’intrigues leurs secrètes conversations.

Le hameau apparut, écrasé au fond d’une large vallée. Quelques familles, repoussées sur les terres les plus stériles, se consolaient en s’attribuant le titre de gardiennes des lacs. Elles leur indiquèrent le chemin sacré qu’il fallait prendre : le contact avec les divinités avait toujours laissé des traces sur ceux qui étaient revenus du voyage.


L’ascension du versant qui protège la vallée prit toute la matinée. Les crêtes glissaient inlassablement dans les creux, houle d’une mer à l’horizon sans cesse repoussée, dalles enfoncées d’un gigantesque escalier délabré : les lacs étaient gardés par une infinité de barrières. Quand enfin ils se redressèrent sur la dernière dalle, une lumière cruelle les frappa.

Leurs tempes vibrèrent comme peaux de tambours, ils suffoquèrent sous l’odeur de souffre, noyés dans des coulées de lave jaunâtre ; une giffle gerçante leur fit perdre l’équilibre. Ils se ratrappèrent tant bien que mal au bras tendu pour l’aumône d’une de ces plantes, et s’écroulèrent, inanimés, au pied du vénérable végétal. Ils marchèrent longtemps dans un pays sans ombre, aveuglés par le ciel qui accouchait de montagnes à son image, survolèrent de miroitants précipices et plongèrent, comme des pélicans dans l’océan, dans l’eau glacée d’une lagune.

L’insupportable sensation de chute sans fin les tira de leurs visions. Leur regard, depuis la cime, descendit le lit d’un névé et roula dans les bas-fonds : ils se virent alors, minuscules, flottant sur les eaux irisées d’un lac. Ils avaient choisi une rive en pente douce. Angela avait hésité. Roland, était habitué : depuis son plus jeune âge, il s’accoudait à la margelle glacée du puits familial quand il allait chercher de l’eau en hiver. Il avait pris sa compagne par la main et l’avait entraînée vers des eaux plus profondes.

Instantanément saisis par la morsure du froid intense, ils se réchauffèrent au rythme de quelques brasses, puis se laissèrent porter par les flots du cratère. Leur fatigue s’effaça. La réalité se dessina. Ces journées de voyage leur parurent dérisoires devant le cours des souvenirs sans âge qui convergeaient en un seul point de leur mémoire : ils descendaient le fil du temps et les impressions du présent revinrent à la surface.


En les voyant arriver de loin, Napoléon - le chaman des frontières en quelque sorte - se demanda qui ils étaient et qui avait bien pu leur donner l’autorisation de fouler les terres sacrées. Cependant, il leur indiqua le chemin à suivre pour le prochain hameau : ils ne passeraient donc pas la nuit dehors et accélérèrent la cadence car le soleil allait bientôt disparaître derrière les crêtes.

Les gens du hameau organisèrent une réception à leur encontre. On sortit l’accordéon, les femmes se mirent à danser sous les cris de joie et d’étonnement des enfants, qui n’en demandaient pas tant… des brebis bêlèrent dans l’enclos… le galop des chevaux sauvages résonnait dans la nuit… les lumières d’un Jumbo scintillaient au-dessus de la sierra.

Sans savoir qu'ils évitaient ainsi la rencontre avec les pilleurs de tombes, – qui les attendraient au détour de la Voie Royale depuis qu'ils leur avaient faussé compagnie - ils ouvrirent un nouveau sentier, optant pour le fil d’une montagne qui se perdait en direction du cimetière profané.

Ils passèrent par la Ville Perdue. Ils crurent, en voyant le poli des pierres plates, à un phénomène d’érosion naturelle, mais quand ils reconnurent l’œuvre de la main de l’homme dans les multiples allées qui se croisaient, dans les ruines et les escaliers obstrués, ils réalisèrent qu’ils se trouvaient dans la capitale d’un monde éteint : l’ensemble était enseveli sous l’ombrage d’une végétation vorace, à l’abri de l’avidité de l’homme. Ils passèrent la nuit nichés dans le recoin d’une terrasse.

Le lendemain, ils distinguèrent le plateau, désormais cimetière à ciel ouvert : on l’avait entaillé, meurtri sur toute sa longueur, on avait creusé de nouveaux précipices, taillé de nouvelles falaises : ils crurent à un récent tremblement de terre.

A la nuit tombante, ils furent accueillis dans une ferme. Ils posèrent la question :

-« Mais que s’est-il passé ? nous ne reconnaissons pas les lieux. Nous n’avons pas senti la moindre secousse d’un tremblement de terre ! »

Les paysans les regardèrent, étonnés :

-« Il y a bien eu un orage, mais les chiens n’ont pas eu peur, même pas aboyé. »

Une femme tissait à la lueur du foyer. Levant les yeux sur les deux visiteurs, elle resta un instant interdite. Ses mains tremblantes palpèrent la tunique de Roland :

-« Pouvez-vous me dire, señor, qui a tissé votre tunique ? On n’en fait plus des comme ça depuis bien longtemps. Cette laine, ces motifs sont ceux de nos ancêtres. Qui vous l’a donc donnée ?

-« Je ne sais que vous répondre, señora, il me semble que notre voyage fut celui d’un autre temps. »

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miércoles, 26 de mayo de 2010

MAÏA



Femme qui porte le monde – Atlas n’est plus –

Je déroge à ton pouvoir

Tu es sa fille Maïa, mère de Zeus

Accablée sous ta charge, tu te tiens à jamais

Devant le lieu drapé de nuages et d’obscurité

Où le jour et la nuit s’approchent l’un de l’autre

Et se saluent.

...

Hercule en Caucase vit ton père

Pour se renseigner au sujet des Pommes

Et délivra Prométhée des griffes de l’aigle

Tes filles, les Hyades, les Pluvieuses étoiles

Jouent à cache-cache en mai et novembre

Avec Dionysos enfant dans les bras

Récompense de leurs soins.

...

Maïa, demi-sœur entre sept

Qu’Orion poursuivit, mère d’Hermès,

Ta sœur Electre leva les premiers murs de Troie

Six d’entre vous sont visibles

Laquelle es-tu ? est-ce ta zone ?

Seuls ceux dont le regard perce

Voient que tu remplaces la couche d’ozone.

martes, 18 de mayo de 2010

VIE INTERIEURE


Comment ? sacrifier la vie intérieure ? Donc soit

Attention ! elle est un défilé de pensées

De sentiments, de vagues projets, de regrets

Vaines délibérations, perpétuel discours à soi.

Mais cette rêverie irrésolue est si

Peu la vie intérieure : rencontres, perceptions

Oiseau, nuage, saisis au hasard, associations

De souvenirs à d’autres, du coq à l’âne occis.

Certains s’en vont – voyez - en prières, en poèmes

D’autres se mettent à compter : donner du concret.

Remède pour les esprits faibles. C’est la mi-carême !

...

Cette pensée n’avance point, ne mène nulle part

Alors on joue aux cartes, on lit Babar.

Inutile, la pensée tourne dès lors en cercle.

Que d’heures d’insomnies pour une pensée esclave :

Insomnie des yeux ouverts sous soleil sans valve !

Refusons le spectacle de la pensée d’Electre !

Même mauvaise, la situation a bon objet :

On cesse de rêver, on se prend à vouloir.

La vie intérieure n’a plus dès lors son miroir.

Des spectacles toujours offerts sur le terroir

En pleine mer, devant le feu, même follet :

Suite au désastre il n'est plus lors de faire-valoir.